5 days ago
Sous les corps se cache peut-être notre humanité commune
Il faut presser davantage nos dirigeants d'agir pour faire respecter les conventions internationales en Territoire palestinien, estime la professeure Camille Marquis Bissonnette.
Camille Marquis Bissonnette
Professeure de droit international, Université du Québec en Outaouais
Six cent treize personnes tuées à proximité de convois humanitaires et de centres de distribution alimentaire à Gaza. Parmi elles, 509 sont mortes dans les files d'attente alors qu'elles allaient chercher une nourriture rare et vitale, la seule disponible. C'est le décompte qu'a diffusé le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme le vendredi 4 juillet.
Celui-ci comptabilise les morts survenues entre le 27 mai et le 27 juin, soit au cours du premier mois depuis l'implantation de la Fondation humanitaire de Gaza, un organisme américano-israélien qui n'est ni neutre ni impartial et force le déplacement de la population, en plus de la rendre vulnérable aux attaques des forces armées israéliennes. En trois semaines supplémentaires, ce nombre a presque doublé.
Crimes, vous avez dit ?
En droit international, toute violation du droit par les États ne constitue pas un crime. Mais si l'on veut parler de crimes, ici, on a l'embarras du choix. Empêcher l'entrée de l'assistance humanitaire lors d'un conflit armé international ou une situation d'occupation ; ne pas permettre la distribution d'assistance humanitaire par un organisme neutre et impartial ; utiliser la famine comme arme contre la population civile ; cibler directement des personnes civiles ; attaquer ou détruire des hôpitaux, des écoles, des universités, des lieux de culte, des villes entières, ce sont tous des crimes de guerre.
Diriger une attaque systématique ou généralisée contre une population civile en utilisant le meurtre, la persécution, l'extermination, l'apartheid, le transfert forcé de population et l'emprisonnement, ce sont tous des crimes contre l'humanité.
Tuer, commettre des atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres d'un groupe national, soumettre intentionnellement ce groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, avec l'intention de la détruire en tout ou en partie, c'est un génocide. Sans si, sans mais, et même si.
Israël continuera de dire qu'il cible exclusivement des membres du Hamas, des terroristes, et qu'il prend toutes les mesures pour protéger la population de Gaza. Le croyez-vous toujours ? Il continuera de dire que celles et ceux qui disent le contraire sont des antisémites et qu'ils soutiennent des terroristes. Est-on antisémite lorsqu'on dénonce des crimes internationaux commis par l'État juif à l'égard d'un autre peuple ? Est-on terroriste quand on défend l'humanité d'un peuple, sa dignité ? Vraiment ?
Quelles obligations pour les autres États ?
En vertu du premier article des Conventions de Genève de 1948, les États – y compris le Canada – ont l'obligation « de respecter et de faire respecter » le droit international humanitaire, même dans des conflits armés où ils ne sont pas directement impliqués. Rappelons-nous l'avis consultatif de la Cour internationale de justice sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le territoire palestinien occupé, rendu il y a un an.
Sur la base de cet article des Conventions de Genève, la Cour avait demandé à tous les États – au sujet de faits antérieurs à l'actuelle guerre à Gaza – « de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l'État d'Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence continue de l'État d'Israël dans le Territoire palestinien occupé ».
Par ailleurs, en vertu de la Convention sur le génocide de 1948, les États – y compris le Canada – ont l'obligation de prévenir et de réprimer le génocide. Souvenons-nous que la Cour internationale de justice a aussi, il y a un an et demi, dans l'affaire Afrique du Sud c. Israël, déterminé qu'il était plausible qu'un génocide soit en cours à Gaza.
Le Canada (et le Québec !) dans tout ça
L'embargo sur les armes annoncé par Mélanie Joly en mars 2024 ne concerne que les nouvelles licences de vente d'armes. Les licences approuvées avant le 8 janvier 2024 restent en vigueur, et du matériel militaire peut aussi se rendre du Canada vers Israël s'il transite par un autre pays. Des millions de dollars en armements continuent ainsi de circuler du Canada vers Israël.
Il est raisonnable d'affirmer que cette implication dans la fourniture d'armes à Israël se fait en violation des Conventions de Genève et de la Convention sur le génocide.
Ne nous trompons pas, depuis son avertissement au gouvernement israélien, peu après son arrivée au pouvoir, Mark Carney n'a rien fait pour Gaza. D'ailleurs, les sanctions imposées par cinq pays, dont le Canada, à deux membres du gouvernement israélien depuis le 10 juin visent la situation – non moins alarmante – en Cisjordanie.
Que faire ?
Continuons de nous informer même si ça fait mal, de nous indigner, de manifester, d'écrire, de faire pression sur nos institutions nationales et fédérales. Continuons de parler de la Palestine, de son peuple et des crimes commis à Gaza par Israël. Du calvaire en lequel ils se traduisent pour deux millions de personnes assiégées, affamées, brisées, survivantes impuissantes. Ne serait-ce que pour perpétuer cette idée d'une humanité commune en laquelle nous avons, un jour, cru.
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